26 février 2012

Nous

Nos chefs et leurs sbires veulent faire tomber le web,
A l'aide d'une saleté de loi,
Nous surferons, et par notre nombre
Moi et mes frères vaincrons.
[Ouuuuuhhhhh, terroriiiiisme!]

Je n’ai rien écris depuis l’attaque menée contre le monde libre du 19 janvier. J’étais peut-être trop fatiguée, trop énervée, trop occupée... Mais au final on s’en fout. La seule chose qui a changé pendant ce dernier mois, c’est peut-être la perception que j’ai du monde. C’est pas qu’elle soit restée inchangée au cours des deux dernières années pendant lesquelles j’ai grandi, appris, mûri, jeté tout ce qui était parasite et infondé dans la structure de mon prisme et gardé tout ce qui me semblait solide et qui définissait ce que j’identifiais comme mon identité propre. 

Au cours du mois écoulé, cependant, j’ai soudainement été contrainte de replacer l’individualité assumée que j’étais en train de bâtir dans un réseau plus vaste. Ce réseau, j’ai rapidement commencé à l’appeler simplement « nous ». Et je ne suis pas vraiment sûre que ça soit une bonne nouvelle.

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Le phénomène m’a frappée l’autre jour, quand mon père a ramené à la maison le dernier Inrockuptibles. Sur la couverture, outre la présence notable de Norman dont je venais justement de parler avec ma sœur (et que l’on voit partout ces derniers temps) s’étalait en gros, en énorme, le titre suivant : « La génération Y prend le pouvoir ». Les magazines parlent de Nous comme un phénomène bizarre à nommer et analyser. Super. 



Déjà, j’aimerais bien savoir si quelqu’un a organisé un vote concernant ce nom (si c’est le cas, je tiens à dire que je n’ai pas été consultée). La génération Y, sérieusement ! On se croirait dans Dark Angel ! La justification de la chose serait qu’on vient après la génération X (ce qui entre parenthèse est probablement le pire nom de génération jamais imaginé, sans vouloir vous faire de dessin), qui correspondrait peu ou prou à celle de nos parents. L’autre hypothèse avancée serait que le Y serait une référence au signe que forme le fil des écouteurs sur notre poitrine. J’admets que rare sont ceux de notre génération qui n’arborent pas ce signe, mais tout de même : comment se fait-il que ceux-là même qui ont inventé le terme ne soient pas capable d’en justifier l’origine avec précision ? Ce sont probablement les mêmes qui identifient le masque de Guy Fawkes des Anon’ comme une référence à un terroriste anglais dont tout le monde se fiche au lieu d’y voir une allusion à V pour Vendetta. Nous sommes donc la génération Y, les « digital natives », ceux qui sont nés avec un ordinateur dans la main (sur ce point là, je ne puis les contredire. J’avais un an et demi lorsque je posais mes mimines potelées sur le clavier de mon premier Minitel afin d’y configurer un mot-de-passe que mes parents ne parvinrent jamais à craquer >.>), des écouteurs dans les oreilles et qui se nourrissent d’un flux continu d’informations. En fait, aux yeux du monde, nous sommes Gary


Ca me dérange pas, en fait. Gary est cool. 

Plus sérieusement, le personnage de Gary dans Alphas est un bon exemple pour illustrer le fossé entre les générations sont les manifestations semblent avoir pris des proportions exagérées au cours des derniers mois. Déjà, alors que le reste de l’équipe, plus âgée que lui, semble posséder ce que j’appelerais des super pouvoirs à l’ancienne (superforce, synesthésie, hypnotisme doublé d’une démarche chaloupée extrêmement agaçante, hyperkinésie…), Gary possède une capacité qui ne peut exister que dans le monde d’aujourd’hui. Ensuite, son comportement un brin autiste le rend à la fois attachant et incompréhensible au reste de l’équipe. C’est ainsi que tout un chacun semble concevoir la génération Y. Des gens qui, au petit-déjeuner, ont déjà checké twitter, facebook et lisent le Monde en ligne (je ne me sens pas du tout concernée) et dont le reste de la journée va être ponctuée de « mises à jour » via leur téléphone portable. Des gens qui apparaissent un peu déconnectés de ce que l’on admet communément comme « la vraie vie » et qui en outre n’éprouvent pas le besoin de s’y conformer. Des gens qui, pourtant, possèdent une expertise naturelle dans un domaine sans lequel on ne peut plus fonctionner. L’équipe ne saurait pas fonctionner aussi efficacement sans Gary. La société ne saurait fonctionner aussi efficacement sans les compétences de ce qu’elle catégorise comme la génération Y. 

J’ignore comment exactement le débat sur le fossé entre les générations s’est renouvelé au cours du dernier mois, mais la bataille qui a fait rage sur Internet pendant le mois de janvier semble avoir joué un rôle décisif. Personnellement, je trouve plutôt dommage de séparer une société en groupes générationnels plutôt que de se concentrer sur ce qui lit encore les gens entre eux, mais bon. Apparemment, plus personne n’a l’air au courant de la nécessité de maintenir la cohésion d’un corps social au milieu de la tourmente d’une crise pour éviter que tout ne parte en sucette. 

A la place, posons-nous tout un tas de questions qui vont inévitablement créer de l’altérité là où il devrait y avoir front commun… C’est mieux.

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Jamais encore je ne nous avais pensé comme un Nous. Mais les récents événements m’ont conduite à y reconsidérer la question. Puisqu’ils veulent nous catégoriser, nous cataloguer comme une génération à part, puisqu’ils refusent de voir ce qui nous unis à eux pour ne souligner que ce qui nous rend différents, alors soit. 

Nous sommes les Digital Natives, puisque vous l'avez décidé. Du coup, faites avec. 

Sinon, on pourrait toujours pousser le délire jusqu’au bout, histoire de pas faire les choses à moitié. Et, comme ça, rien ne nous survivra.

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Et pour le mot de la fin: une démonstration de la dangerosité d'Internet. Ici, des Y réunis dans une communion maléfique autour de la nouvelle génération d'humoristes du web. A cet instant hautement terrifiant, le public explose de surprise et de liesse à l'entrée impromptue d'Hugo Tout Seul que l'on croyait jusqu'alors seulement au téléphone avec Norman. Que fait la police?!


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